Il n’y a pas de place pour la faiblesse • Gregory

Déjà trois mois que je travaillais au Tchin-tchin et je commençais doucement à en avoir assez. Non pas que le métier de serveuse ne me plaisait plus, je le faisais depuis treize ans. Mais disons que mes collègues me tapaient sur le système. Entre le barman qui me parlait toujours de sa petite amie de la veille, toujours différente de celle de la soirée d’avant, et les autres serveuses qui n’appréciaient pas que j’ai été prise sans diplôme, l’ambiance était assez pesante. Mais voilà, j’avais déjà de la chance d’avoir trouvé cet emploi sans diplôme alors je ne voulais pas prendre le risque de ne pas retrouver de travail en démissionnant du Tchin-tchin. En arrivant ce soir, j’étais comme à mon habitude à l’heure. Je passais par la ruelle qui passait derrière le bar pour passer par l’entrée des artistes. Je changeais de chaussures, ayant une paire de ballerine pour le service. Je passais un petit tablier où je glissais mes pourboires et les commandes. Je faisais l’ouverture et je terminais aux alentours de minuit, ayant déjà travaillé ce midi. Ayant encore quelques minutes avant d’ouvrir le bar, je passais un coup de téléphone à mes parents. Tout semblait aller pour le mieux dans la petite maison de Brooklyn qu’ils avaient acheté grâce à l’argent que j’avais gagné à la loterie. J’avais toujours autant de mal à me faire à cette idée, celle d’être milliardaire. Ma mère eut alors une grande nouvelle pour moi, mon père avait retrouvé un emploi dans le ferroviaire, il gérait la circulation des trains du métro new-yorkais. J’étais contente pour lui mais il était l’heure pour moi de commencer à travailler. Raccrochant, j’allais ouvrir les portes du bar, il faisait assez chaud avec le soleil qui avait tapé sur la vitrine toute l’après-midi. J’accueillais les premiers clients avant de prendre leur commande et de les passer au barman. Il me parla tout de suite de la petite amie qu’il avait eu la veille, une gymnaste et il insista lourdement sur sa souplesse. Je soupirais en secouant la tête, répliquant que cela ne m’intéressait pas. Alors que je servais un client, je vis une personne s’installer dans le bar. Je souris avant de l’approcher de lui. « Monsieur Maxwell, la même chose que d’habitude? » Le jeune homme venait beaucoup dernièrement je trouvais et je me demandais bien ce qu’il voulait. Nous avions un peu discuté et je savais ce qu’il aimait prendre. Passant donc commande, je revins assez rapidement vers le jeune homme et lui tendit son verre. « Qu’est-ce qui vous amène au Tchin-tchin aussi souvent? » J’avais toujours été très curieuse et ce soir ne faisait pas exception à la règle.
   

Honnêtement, je ne savais pas ce que je faisais au Tchin-tchin… Je n’étais pas spécialement intégré à l’équipe même si le barman m’appréciait bien. Mais avec les serveurs, c’était une autre histoire. Ils ne pouvaient pas me voir en peinture et il était très difficile de travailler dans ces conditions. Mais tout ce qui m’importait, c’était le salaire qui tombait à chaque fin de mois et qui me permettait de vivre. Alors je serrais les dents et j’encaissais les coups bas. Mais pour combien de temps encore? Je l’ignorais mais je commençais doucement à saturer. Alors que le service venait de commencer, j’aperçus un client et je ne pus que m’approcher de lui. Je lui demandais sa commande plus pour la forme qu’autre chose, sachant pertinemment ce qu’il prenait. Je lui servis donc son éternel thé, un petit sourire aux lèvres. Mais je ne pus m’empêcher de lui demander ce qu’il l’amenait au Tchin-tchin aussi fréquemment. Je tombais des nues quand il me répondit qu’il était en repérage et encore plus quand il ajouta qu’il était à la recherche d’une serveuse compétente pour son bar. J’ignorais qu’il possédait un bar mais je n’étais guère étonnée qu’il vienne ici pour trouver du nouveau personnel. Ce n’était un secret pour personne que les bars se piquaient les serveurs et les barmans entre eux. Alors que j’allais lui demander quelle serveuse avait ses faveurs, je fus étonnée qu’il me propose d’en parler. Je le regardais quelques secondes avant de secouer la tête pour reprendre pieds avec la réalité. « Euh, je… Oui, bien sûr, pas de problème… Je termine mon service dans deux heures donc si vous acceptez de patienter, je serais apte à répondre à vos questions. » On verra bien ce que cela donnera. Repartant prendre une nouvelle commande, j’étais quand même sous le choc de savoir que je pouvais intéresser quelqu’un pour un autre poste de serveuse. Pendant les deux heures de mon service, je fis tout mon possible pour faire abstraction de cette nouvelle, faisant mon travail le plus professionnellement possible. Mais souvent, mon regard dérivait vers le jeune homme qui lisait son livre, attendant que j’aie terminé. Mon service se termina rapidement et je fis un crochet par les vestiaires pour me changer avant de retrouver le jeune homme à sa table. « Bon, j’ai fini… Et si nous parlions maintenant. » J’étais prête à tout pour changer de bar et tant pis si je pouvais paraître trop direct. Mais disons que si l’ambiance entre serveurs était meilleure dans son bar qu’ici, je ne disais pas non.